lundi 15 novembre 2010

La Corde à 12 Noeuds

 « Sous la voûte étoilée court en frise autour du Temple un cordeau à 12 nœuds (les lacs d’amour) qui se termine par une houppe de part et d’autre de la porte de l’occident à l’endroit des colonnes B.·. et J.·.».

Une corde…quoi de plus banal pour un profane…quoi de plus insignifiant que cet ensemble de brins rassemblés. Et pourtant, cette corde, qui nous revient depuis les temps les plus lointains, est lourde en symboles.

Je la regarde sur les murs de notre Temple. Fait-elle simplement partie du décor ou cache-t-elle bien plus que ce que son humble apparence indique ?

A premier abord, elle me rappelle la corde que je portais à mon cou le jour de mon initiation, ou que mes frères et sœurs ont porté à la taille, cette corde qui se voulait plutôt aliénante. Mais là, il y a quelque chose de différent. Cette corde qui court le long des murs,  qui entoure la loge, l’enlace, comme des bras bienveillants, protecteurs. Ceci me fait d’ailleurs penser au procédé de protection utilisé en magie blanche avec les tapis rouges qui séparent le zénith du nadir et protègent les hôtes de marque des influences négatives des énergies inférieures. Les houppes de cette corde jouent-elles un rôle similaire aux franges des tapis pour la dispersion nécessaire de ces énergies néfastes ? La houppe dentelée de nos loges est-elle donc peut-être l’équivalent en haut de ce qui est en bas en termes de protection ? La corde est-elle là pour nous protéger de l’extérieur, durant nos travaux ?

Revenons un peu en arrière, à l’époque où les maçons opératifs entouraient d’une corde de protection physique le carrelage mosaïque nécessaire au tracé à plat des pièces de charpente. La surface bien plane ne devait pas être foulée par n’importe qui de non qualifié. Par la suite, ils ont tracé autour du lieu de leurs réunions spéculatives une ligne sinueuse symbolisant cette corde protectrice.

Ces mêmes maçons utilisaient d’ailleurs la corde à nœuds dans la construction des cathédrales et des forteresses. Elle a longtemps été le premier outil dont ils se servaient sur le terrain, au moment où ils traçaient la délimitation des fondations. De ce fait, n’est-elle pas avant tout un symbole initiatique, puisque c’est par son tracé qu’étaient initiés les travaux de bâtiment ?

Mais encore, leur corde comportait 13 nœuds et pas 12. Les 13 nœuds délimitaient 12 sections. Cette corde permettait de tracer le triangle, le carré, le rectangle, l’hexagone, et d’autres formes géométriques. Elle était utilisée depuis la plus haute antiquité, notamment par les Egyptiens, les Grecs, et les Romains. Ces 12 sections étaient bien plus pratiques à utiliser qu’un système décimal, puisqu’au niveau du calcul, il est plus aisé de diviser 12 par 2, 3, 4 et 6 alors que 10 ne se divise que par 2 et 5. La corde à 13 nœuds (12 coudées) permettait aussi de manier dans la pratique les principes élémentaires de la trigonométrie proportionnelle. Ce respect de la proportion, chère aux bâtisseurs de cathédrales, se faisait par le nombre d’or, appelé aussi divine proportion. Ce nombre a longtemps été étudié comme une clé explicative du monde, particulièrement pour la beauté. À la Renaissance, Pacioli, un moine franciscain italien, le met à l'honneur dans un manuel de mathématiques et le surnomme divine proportion en l'associant à un idéal envoyé du ciel. Il est adopté en théorie esthétique et justifié par des arguments d'ordre scientifique ou mystique : omniprésence dans les sciences de la nature et de la vie, proportions du corps humain, ou dans les arts comme la peinture, l'architecture ou la musique, à l'exemple du Modulor conçu par Le Corbusier. Ce nombre d’or, permettant donc la proportion à l’origine des critères de beauté, se retrouve dans la trigonométrie proportionnelle, notamment dans le triangle d’or, le rectangle d’or, etc. que nous retrouvons d’ailleurs dans l’architecture du temple de Salomon. Et c’était bien la corde à 13 nœuds qui permettait aux bâtisseurs de tracer les triangles d’or, rectangles d’or, et autres. La corde de nos loges est-elle donc symbolique de ce nombre divin, et par conséquent, de beauté ?

A bien la regarder, sinueuse et enroulée, elle me semble plutôt comme un serpent rampant, souvent associé au mal et à la tentation, mais surtout symbole de connaissance et de sagesse. N’est-ce pas là le but de nos tenues ?

Ou même encore, elle me semble comme un cordon ombilical, symbole de la vie, permettant le passage d’une existence à une autre par une libération de soi, tout comme notre passage vers une nouvelle vie lors de notre initiation. Et si cette corde est le symbole de la vie, les nœuds sont-ils les symboles des embûches et des difficultés rencontrées sur notre chemin vers le perfectionnement ?
Je m’éparpille dans mes idées. Revenons un peu sur terre, sur cette corde utilisée dans la maçonnerie opérative. Ses nœuds étaient bien serrés. Et pourtant, les Lacs d’amour en loge ne sont pas serrés et indiquent surtout l’ouverture aux autres, renforcée par l’ouverture de la houppe vers la porte de l’Occident, vers le Monde Profane pour pouvoir accueillir en notre sein toute personne voulant se perfectionner. Les nœuds dans ce sens sont moins importants que l’ouverture de cette corde vers l’occident.

De plus, les nœuds de la houppe dentelée sont en huit. Dans la marine et chez les scouts, ceci est un nœud d’arrêt sûr, solide, qui n’affaiblit pas les cordages comme le nœud simple. Il ne serre pas excessivement et se défait facilement. Et ceci correspond parfaitement à ce que la franc-maçonnerie se veut : renforcée par ses maillons (les frères et sœurs qui la composent), dont chacun seul ne peut affaiblir ses cordages, et dont le nœud se défait facilement puisque chacun a la liberté de la quitter.

Ces maillons de la franc-maçonnerie forment à leur tour une corde dans la loge, représentée par la chaîne d'union. Mais dans celle-ci, il faut prendre en compte les polarités de chaque individu qui mettent en relation leur pole positif et leur pole négatif pour faire un émetteur-récepteur d'une puissance beaucoup plus grande que la somme des éléments isolés. On entend souvent dire " une chaîne ne vaut que par son maillon le plus faible " mais dans le cas de cette chaine qui nous rassemble à la fin de chaque tenue, n’est-il pas évident que sa force dépasse le total de nos forces individuelles car s’y ajoutent toutes les forces de ceux qui ont formé une chaîne d’union depuis que notre ordre initiatique existe ? La corde dans ce sens serait-elle représentative de la force ?

De plus, il ne peut y avoir que des maillons égaux dans cette « corde » formée par notre chaine, cette corde de l’Egalité. Une corde que rien ne peut briser puisque nous ne quittons jamais la chaîne d’union, nous l’ouvrons, car cette chaîne virtuelle ne cesse jamais d’être présente dans nos cœurs. Cette corde symbole de l’amour fraternel qui nous lie.

Enfin, la corde n’existe que tordue sur elle-même. Avant d’être tordue, elle n’est que brins  sans consistance, qui s’éparpillent au moindre souffle de vent. Une fois défaite, elle s’affaiblit et ses brins se perdent. Ces brins sont semblables à l’Humanité. Seuls ils ne sont rien, n’ont presque aucune consistance. Mais rassemblés, ils ont une force supérieure au total des brins et une pérennité bien plus grande, tout comme les frères et sœurs rassemblés par les liens de notre ordre, des brins rassemblés symbolisant l’union et la force. Et entre les deux séries de brins …une porte ouverte sur l’extérieur : la Liberté !

Mais….j’y repense : la corde des maçons opératifs avaient 13 nœuds. La nôtre en a 12, sans doute pour représenter les 12 sections de la première, avec tout ce que le nombre 12 porte comme sens et symboles.

Ces 12 lacs d’amour peuvent nous faire penser:
  • aux 12 signes du Zodiaque,
  • au décompte des 12 heures du temps sacré de midi à minuit,
  • à la ronde des mois qui va d’une Saint-Jean à l’autre tout autour de l’année.

Je ne m’attarderai pas sur ses symboles de peur de dépasser le temps qui m’est alloué. Mais il m’est difficile de passer outre une symbolique du chiffre 12, celui-ci étant à la fois le produit de 3 et 4, le 3 étant le divin ou l’esprit, le 4 étant la terre ou le corps. De plus, 12 est aussi la somme de 3, 4 et 5, ce dernier symbolisant l’homme. Par conséquent, 12 serait le nombre représentatif de l’union de l’homme avec le spirituel et le terrestre, le produit du corps et de l’esprit.

Désormais, la corde sera pour moi la représentation de l’ensemble des valeurs vers lesquelles tout initié devrait tendre. Force, sagesse, beauté, … liberté, fraternité, égalité…ouverture aux autres, union de l’esprit avec le corps…tant de traits sur lesquels nous devons travailler pour être les maillons d’une corde solide, que rien ne peut affaiblir.

vendredi 12 novembre 2010

Egaux ou Ego?

Egaux…c’est bien ainsi que nous nous qualifions, nous FM, et c’est bien là un de nos objectifs : cette égalité qui fait partie des principes fondamentaux de notre ordre et que nous invoquons haut et fort au début et à la fin de nos travaux en loge.
L’égalité qui d’ailleurs est définie comme étant la qualité de deux choses qui ont une ou plusieurs caractéristiques identiques. L'égalité est donc doublement relative : elle suppose, d'une part, la relation entre les termes que l'on compare et, d'autre part, la relation entre ces termes et une unité de référence. Ainsi, deux corps peuvent être égaux en poids sans être égaux en taille. Appliquée aux hommes, la question de l'égalité varie donc selon les références que l'on retient. Mais, parallèlement à cette égalité, il faut noter ce qui constitue l’identité d’un objet ou d’une personne, ce qui en fait un élément unique. Ainsi, dans notre cas, nous sommes, au-delà de nos différences particulières, de nos tendances respectives, et de nos idées propres, égaux par le fait de notre appartenance à cet ordre qu’est la FM, animée par une raison suprême. Nous sommes égaux car nous avons en  commun de participer à cette raison suprême.
Cette égalité entre nous et entre les hommes de façon générale est aussi essentielle et nécessaire pour équilibrer la liberté. En effet, sans elle, trop de liberté accordée aux hommes créerait petit à petit une société de loups et d’agneaux,  et cette liberté nous ramènerait inévitablement aux lois de la nature. 
L’égalité constitue donc le ciment social nécessaire à la construction d’une humanité ouverte et libre, dans le respect des différences et de l’identité de chacun.
Mais sommes-nous toujours capables de nous sentir égaux quand nous sommes différents ? Que se passe-t-il lorsqu’en loge ou ailleurs nous nous retrouvons face à des personnes ayant des idées différentes, des objectifs différents, qu’ils tendent à satisfaire et qui rentrent en contradiction avec nos propres objectifs individuels ? Que se passe-il lorsque notre Ego en prend un coup, et que nous nous retrouvons seuls à défendre nos opinions ? Notre Ego ne serait-il pas alors une entrave à l’idéal maçonnique ? Comment pouvons-nous ne faire qu’un avec nos frères et sœurs lorsque le MOI l’emporte ?
Ce MOI ou EGO désigne la représentation qu’on se fait de soi et la conscience que l’on a de soi-même. L’homme sous l’emprise de l’EGO ramènerait toute idée ou évènement à sa propre personne, faisant ainsi de lui-même le centre de l’univers, les autres n’agissant ou n’existant que pour participer à la réalisation de ses intérêts. La FM est d’ailleurs un moyen de se libérer de son EGO pour mieux se connaitre soi-même, en polissant sa pierre brute, en dégrossissant son EGO. Il est toutefois évident qu’il est nécessaire d’avoir un minimum d’ego et d’amour propre pour penser librement et exprimer de façon authentique ses idées et convictions, pour réaliser ses objectifs et ses rêves, enfin…pour avancer. Nous arrivons ainsi à une lame à double tranchant : comment servir un idéal sans ego, sans toutefois tomber dans le nombrilisme ?
En fait, je crois que ce n’est pas l’Ego qui poserait un problème. Bien au contraire, il nous donne la motivation pour mener nos combats contre les injustices, contre le fanatisme, contre les préjuges, etc. Par contre c’est un ego démesuré qui nous empêcherait d’accepter les autres, et de se soumettre aux principes de la démocratie. Un ego parfois trop amplifié ne saurait qu’éloigner le franc maçon de sa raison d’être initiale.
Il devient alors important de se libérer de notre prétention, de notre vanité, et de revêtir l’humilité. Abandonner le superficiel, et mieux se connaitre soi-même, connaitre ses propres faiblesses. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de passer par le processus d’initiation. Selon Jacques Ravenne, « toute la logique de l’initiation et de la pratique du rituel en loge est […] de décongestionner les egos trop envahissants. »
Laissons nos métaux à la porte du Temple, ces métaux dont fait partie intégrante l’ego de chacun, favorisons l’intérêt collectif à l’intérêt individuel, faisons fusionner nos énergies, sortons de notre Moi pour aller vers les autres.

Nous ne pouvons nous construire Franc Maçons seuls avec notre Ego. Nous avons besoin pour cela de nos frères et sœurs….n’est ce pas pour cela que nul ne se proclame Franc Macon ; ce sont ses frères et sœurs qui le reconnaissent pour tel.

L’ego vaniteux doit petit à petit s’effacer pour céder la place au moi véritable, un moi humble. Cette humilité qui doit devenir une attitude de l’âme, parce que l’orgueil ne saurait aimer, ni partager, ni respecter. Cette humilité que nous apprenons aussi par le silence auquel nous sommes soumis en tant qu’apprentis. Ce silence qui freine la passion lorsqu’elle veut se mêler à nos mots pour exprimer ce que notre Ego voudrait. Cette passion si dangereuse et qui devrait céder la place à la raison, et au Nous avant le Je.

Outre le silence, d’autres étapes de la vie de l’apprenti lui apprendront à mettre de cote son ego. L’assiduité et le travail sur les outils du FM ne sauront que nous libérer de notre moi, nous libérer de cet ennemi que nous avons vu le jour de notre initiation, ce visage dans le miroir, ce moi, cet ego.

Et pour que nous soyons Egaux, sans l’influence de l’Ego, la Règle et l’Equerre nous mèneront au droit chemin : La règle puisqu’elle nous permet de suivre fidèlement une règle de vie alors que notre ego nous perdrait dans des réactions passionnelles ; et l’équerre parce qu’elle discerne le droit et le devoir.

Ne soyons pas renfermes sur nous-mêmes mes frères et sœurs, ne nous enfermons pas non plus dans nos convictions, car seul on ne peut rien, et ensemble on est capable de tout.

Et si un jour, mes frères et mes sœurs, mon Ego l’emportait, remettez moi mon tablier blanc à la bavette relevée, et ramenez-moi au banc des apprentis, car c’est la que ma place serait.